Affaire Clavier, François Dominici, conseiller territorial corse (PRG) parle...

Publié le par PRG

Dominique Rossi, efficace et effacé
Le Monde le 4 Septembre 2008

Lorsque son téléphone a sonné, samedi 30 août, dans l'après-midi, Dominique Rossi
a vite compris que quelque chose n'allait pas. A l'autre bout du fil, Bernard Squarcini, le
patron de la direction centrale du renseignement intérieur, l'a averti : "Je suis désolé, mais
tu vas avoir des ennuis."
Les ennuis n'ont pas tardé.

Le lundi soir suivant, après trente ans de service dans la police nationale, le contrôleur général
apprenait qu'il était relevé de son poste de coordonnateur des services de sécurité intérieure en
Corse et muté à l'Inspection générale. Le "cimetière des éléphants", dans le langage imagé de la police nationale.

Motif de la sanction : ne pas avoir empêché une poignée de nationalistes de s'introduire sur la
pelouse du comédien Christian Clavier, un intime du président de la République, Nicolas Sarkozy,
à Porto-Vecchio, en dénonçant la "spéculation immobilière". "Un crime de lèse-copain de majesté",
a ironisé François Bayrou, président du Modem. Une polémique alimentée par l'opposition et
par la presse, que le principal intéressé s'est appliqué à fuir, malgré la déferlante de louanges
sur ses états de service.

La discrétion est la première nature chez ce natif du village de Piana, à deux pas des calanche
de granit rouge qui plongent dans la Méditerranée. La famille est modeste, l'élève "Dumè" Rossi
appliqué. Comme beaucoup de jeunes Corses de sa génération, il quitte l'île pour des études
sur le continent et embrasse une carrière de policier. En 1978, il est nommé commissaire.
Deux ans plus tard, il opte pour la direction de la surveillance du territoire (DST), le contre-espionnage,
et est affecté à Paris, à Fort-de-France, puis à Marseille. Il gravit tous les échelons, jusqu'au poste de directeur de cabinet du patron du service.

Son heure arrive en 1999. Après l'incendie de la paillote Chez Francis, sur ordre du préfet Bernard
Bonnet, le gouvernement Jospin a besoin d'hommes de confiance. Souples. Discrets. Efficaces.
Rossi est le candidat idéal. Nommé directeur de cabinet du préfet adjoint chargé de la sécurité,
il fait profiter ses patrons successifs de sa connaissance intime de la mouvance nationaliste.

Rossi connaît bien les indépendantistes. Il est de la même génération, il connaît les individus,
les connexions. Il sait analyser leurs rodomontades et leurs menaces, saisir la mesure du tempo
insulaire, où un contrôle routier peut virer au rassemblement devant le commissariat d'Ajaccio avec
appels enflammés à la lutte armée.

Seul accroc dans un parcours sans tache : l'incendie de l'Assemblée de Corse le 12 janvier dernier,
à l'issue d'une manifestation de nationalistes. Ce jour-là, les militants n'avaient pas obliqué comme ils le faisaient depuis trente ans au bout du cours Paoli, l'artère principale d'Ajaccio. Un mouvement imprévisible
les avait conduits au siège de l'Assemblée. Quelques heures plus tard, un incendie ravageait les bureaux
de la présidence du conseil exécutif. Le soir même, tandis que les flammes dévoraient le bâtiment,
Rossi, en loden et casquette bombée de gentleman britannique, supervisait l'organisation des secours.

Depuis sa disgrâce, quelques détracteurs ne manquent pas de rappeler cet épisode et trouvent à la
prudence proverbiale de Rossi des airs suspects. En quelques heures, pour un gazon maudit foulé
par une poignée d'indépendantistes, Dominique l'efficace s'est mué en "Rossi, le Florentin".

Oublié, le bilan 2007 de la sécurité vanté par la préfecture de Corse, "son" bilan, marqué par une
baisse de 41 % des attentats en Corse-du-Sud, la saisie de 142 armes, les 10 000 munitions mises
sous clé, les équipes du FLNC au tapis. Oubliée, la Légion d'honneur accrochée au revers de son
veston au début de l'année en récompense de son travail.

Rossi a serré les dents. Fidèle à sa réputation, il a organisé le black-out autour de sa personne.
L'équipe de la télévision régionale France 3 Corse, dépêchée dans le petit hameau Saint-Roch du
village de Letia, où Rossi passe week-ends et vacances, en a fait les frais. Comme dans la bande
dessinée L'Enquête corse, de Pétillon, dont un film a été tiré avec Jean Reno et Christian Clavier,
les habitants du cru ont nié connaître l'enfant du pays : "Dominique qui ?" Au même moment, l'intéressé passait un coup de fil au rédacteur en chef de France 3 depuis un restaurant d'Ajaccio : "Alors,
vos gars n'ont toujours pas tro
uvé ma maison ?"

Depuis son éviction, seules des mains anonymes tressent les couronnes de lauriers de ce "grand flic".
Pour les experts en épitaphes professionnelles, pas question de s'exprimer ès qualités : "Je suis
écoeuré pour ce type, que j'aime beaucoup, mais on ne peut rien dire parce que les couteaux
sont tirés et que chacun risque sa place"
, résume, contrit, le patron d'un service de police judiciaire.

"C'est le coup classique du bouc-commissaire, surtout en Corse", renchérit Demetrius Dragacci.
En d'autres circonstances - les premiers mois de l'enquête sur l'assassinat du préfet Claude Erignac -,
l'ancien patron du SRPJ d'Ajaccio s'était vu, lui aussi, brutalement écarté. Ses intuitions sur la
responsabilité d'un groupuscule nationaliste avaient été balayées au profit de pistes saugrenues.
Pour se trouver confirmées dix-huit mois plus tard, avec l'arrestation des membres du commando.

En Corse, fait rarissime, le limogeage de Rossi a retourné la rue. Parmi les rares élus à s'exprimer
sur l'affaire, François Dominici, conseiller territorial (PRG) et farouche adversaire des nationalistes,
s'emporte : "Dumè Rossi est un fonctionnaire remarquable qui se trouve d'un coup responsable de
tous les maux de l'île. On voudrait donner une tribune exceptionnelle aux nationalistes qu'on ne s'y prendrait pas autrement."

Publié dans article sur le PRG

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