Bernard Tapie est sorti de son exil politique, par Patrick Jarreau

Publié le par PRG

Le Monde , le 12 septembre 2008

L
es auditions publiques des commissions parlementaires sont un des bonheurs de la vie politique. Grâce à la télévision, le rêve des républicains de la Révolution, qui voulaient recréer l'agora athénienne ou le forum romain, semble se réaliser, avec ses avantages - le droit de regard de tous sur les affaires communes - et ses risques, la démagogie et la rhétorique.

Rhétorique et démagogie, Bernard Tapie n'y a pas son pareil. Pendant près de quatre heures, mercredi 10 septembre, il s'est produit sur un théâtre qu'il n'avait pas recherché, mais qui était, pour lui, une aubaine. Quel meilleur cadre que la commission des finances de l'Assemblée nationale pour mettre en scène, devant les caméras, l'intrépide homme d'affaires, passé de la banlieue parisienne à un hôtel particulier du quartier Saint-Germain, détesté par les grands patrons pour avoir voulu se hisser à leur niveau, précipité aux enfers de la banqueroute et de la prison, et maintenant triomphant de la banque et de l'Etat ?
Il avait devant lui un échantillon de ces politiciens qui le craignaient quand il était devenu député, puis ministre, chef de file d'une campagne nationale réussie et candidat potentiel à l'Elysée.

En 1994, appuyé sur les radicaux de gauche, il avait mené, aux élections européennes, une offensive encouragée par François Mitterrand contre Michel Rocard, alors à la tête du Parti socialiste et qui se préparait à l'élection présidentielle de l'année suivante. Député des Bouches-du-Rhône, ayant vendu Adidas deux ans avant, Bernard Tapie semblait avoir tourné la page de sa vie de repreneur d'entreprises.

Symbole du cynisme des années de "crise", qui avaient permis à une nouvelle génération d'affairistes de faire sa place au soleil en dépouillant des baronnies industrielles affaiblies par la mondialisation, il s'était fabriqué une identité politique face au lepénisme, qu'il combattait avec ses armes, populisme contre populisme. Ce franc-tireur plaisait beaucoup aux jeunes des "quartiers" tout en séduisant des milieux de gauche fâchés avec les socialistes. Mais son coup de poker avait raté. Mis en liquidation, à la fin de 1994, il était devenu inéligible et avait dû renoncer à la compétition présidentielle.

Devant la commission des finances, c'est l'homme d'affaires qui a parlé, mais c'est l'homme politique qui a fait son retour, dans ce qui aurait été une scène inoubliable de La Comédie humaine si Balzac avait pu la raconter. Sa force de frappe paraît intacte et même augmentée par les épreuves qu'il a subies et surmontées. François Bayrou, qui s'y connaît en populisme, prend soin de préciser que sa cible n'est pas l'homme d'affaires-député-ministre-acteur, dont il mesure la capacité de séduction, mais Nicolas Sarkozy.

"L'Elysée a été directement intéressé"
dans la décision de recourir à un arbitrage pour régler le contentieux entre l'ancien client du Crédit lyonnais et sa banque, propriété de l'Etat, a dit le président du MoDem, sans plus de précision. Il est probable, en tout cas, que les avocats de profession que sont le président de la République et la ministre de l'économie, Christine Lagarde, ont été plus enclins que des énarques à accepter une procédure, qui aboutirait à une sorte de traité de paix entre les deux parties. Le blâme infligé rétrospectivement aux dirigeants du Lyonnais peut faire plaisir à pas mal de chefs d'entreprise qui ne portent par leur banquier dans leur coeur.

Son acharnement judiciaire a permis à Bernard Tapie de remporter une victoire politique. Neutralisé pendant quatorze ans, il retrouve ses droits. On peut compter sur lui pour s'en servir et pour, comme il dirait, renvoyer l'ascenseur.

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