Le PS saisi par la peur du vide
Blog le Monde de Jean-Michel Normand, journaliste au Monde
Le 13 Mai 2009
Il faut se méfier des élections européennes. Depuis quinze ans, ce scrutin est propice aux sorties de route des grands partis. En 1994, l’attelage conduit par Michel Rocard - auquel François Mitterrand avait mis quelques bâtons dans les roues en soutenant la liste de Bernard Tapie - se retrouva dans le décor avec 14% des voix. En 1999, c’est la liste RPR pilotée par Nicolas Sarkozy qui fit une embardée (12,8%) après avoir été doublée dans le dernier virage par celle de Charles Pasqua. En 2004, après le changement de scrutin, la droite connut un nouveau tête-à-queue après avoir dérapé sur le vote-sanction anti-Raffarin. Et si, cette fois, c’était de nouveau au tour du PS de perdre les pédales ? Même si chacun de ces accidents de parcours se sont inscrits dans un contexte particulier, la question, ces jours-ci, hante les socialistes.
Cette élection à la proportionnelle à un tour s’inscrit en rupture avec les habitudes françaises liées au scrutin uninominal à deux tours (on choisit au premier tour, on élimine au second). En outre, le sujet européen n’a jamais passionné les électeurs et la moindre conscience de l’enjeu encourage les réflexes dits de “défoulement”. Autant de raisons qui expliquent qu’une liste représentant un grand parti de gauche comme de droite puisse décrocher rapidement et s’inscrire irrémédiablement dans une spirale négative. L’érosion du vote PS dont témoignent les derniers sondages est d’autant plus embétante qu’elle intervient à plus de trois semaines du vote. Or, l’expérience montre que, dans la dernière ligne droite, les grandes listes tendent à céder du terrain face aux outsiders. Les optimistes feront remarquer que la campagne ne s’est pas encore cristallisée et que bien des péripéties peuvent encore survenir. Cependant, plusieurs éléments contribuent à entretenir une peur du vide parmi les leaders socialistes mais aussi chez les militants.
Le brouhaha des anti-Sarkozy. Comme le fait remarquer Jean-Christophe Cambadélis, “l’air est saturé d’anti-Sarkozysme“. Tout le problème, pour le PS, est de faire entendre sa voix dans ce brouhaha des anti-Sarko. Et il ne semble pas idéalement outillé pour y parvenir. Contrairement aux autres opposants de gauche et d’extrême gauche, le parti socialiste ne peut se contenter durablement de critiquer sans proposer. C’est le prix à payer pour plaider le “vote utile” et se poser comme le débouché politique naturel face à la droite. Même si le scrutin est européen, il fait nécessairement écho au positionnement général du PS. Et celui-ci n’est pas encore très affûté.
Le discours européen manque de lignes directrices. “Notre plate-forme est trop abstraite” reconnait une proche de Martine Aubry. “Nous n’avons pas suffisamment travaillé à partir du programme du PSE” renchérit un autre dirigeant. “Solferino nous abreuve de littérature mais on ne voit pas de message clair, qui porte auprès des gens” constate un secrétaire de section de l’Ardèche. Entre le discours de ceux qui, au PS, insistent avant tout sur l’incapacité de l’Europe à sortir d’une approche libérale voire “anti-sociale” et ceux qui considèrent qu’il ne faut pas désespérer de l’Europe et nourrir un discours plus ouvert - les différences entre socialistes concernant l’entrée de la Turquie dans l’Union sont révélatrices de ce clivage - on peut se demander si l’électeur de base reçoit un message très homogène. On peut aussi se demander si les cicatrices issues du referendum constitutionnel de 2005 sont vraiment refermées.
Le PS n’est pas en ordre de marche. La séance de coaching collectif organisée mardi 12 mai rue de Solferino à l’adresse des parlementaires et présidents de collectivités locales et régionales témoigne des limites de l’engagement des élus dans la campagne européenne. Désormais, la plupart des cadres du PS sont aussi des maires, conseillers municipaux, généraux ou collaborateurs d’élus. Revers de la médaille; ils sont très occupés par leurs tâches. Sans doute, aussi, ne se sentent-ils par à 100% concernés par une élection dont les candidats éligibles ont été désignés par les états-majors nationaux. A la direction du parti, on espère que les grands élus prendront rapidement conscience qu’une déconvenue aux européennes ne constituerait pas le meilleur moyen de préparer les élections régionales de l’an prochain.
Martine Aubry de plus en plus exposée. Pour se faire entendre, il ne suffit pas au PS de crier “haro sur Barroso” plus fort que les autres. Certains, comme François Hollande ou Vincent Peillon préconisent - non sans arrières-pensées - de jouer le tout pour le tout et de se fixer comme objectif de campagne de dépasser l’UMP. Téméraire mais mobilisateur et cohérent avec la revendication d’un leadership sur la gauche, estiment-ils. “Trop casse-gueule” répondent les proches de Martine Aubry qui refusent de souscrire à une grille de lecture qui permettrait à leurs adversaires socialistes d’imputer à la première secrétaire la défaite du PS et à la droite de clamer sa victoire encore un peu plus fort. Reste qu’à force de mener une campagne sans objectif précis et sans message fort, Martine Aubry risque de se laisser entrainer sur une pente savonneuse sur laquelle d’autres ont glissé bien avant elle.
Jean-Michel Normand