Accord France-Vatican sur les diplômes: une brèche pour les créationnistes?

Publié le par PRG

ANNÉE DARWIN

Nouvel Obs le 6 Juillet 2009

Un décret qui dispense les universités catholiques de faire valider leurs diplômes par l’Etat inquiète les défenseurs de la laïcité et de l’enseignement de la théorie de l’évolution en France.

La place Saint-Pierre de Rome, au Vatican.

La place Saint-Pierre de Rome, au Vatican. (Sipa)

Jusqu’à présent l’emprise des doctrines créationnistes sur l’enseignement français est contenue par deux remparts de taille: la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et l’organisation centralisée de l’école républicaine et de l’Université publique. Or, entre autres éléments préoccupants, un décret daté du 16 avril 2009 remet en cause ces deux remparts simultanément!» Olivier Brosseau, docteur en biologie, et Cyrille Baudouin, ingénieur physicien, auteurs d’une remarquable enquête sur les créationnismes dans notre pays (1), ont profité de la tribune qui leur était offerte, le 12 juin dernier au Collège de France (2), pour dénoncer le décret d’application d’un accord signé entre la France et le Vatican.

Inscrit dans le processus de Bologne qui prévoit la construction d’un «espace européen de l’enseignement supérieur» d’ici 2010, cet accord a pour objet, selon le quai d’Orsay «de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège et de faciliter les différents cursus universitaires».

Jusqu’alors les diplômes dispensés par les universités et instituts catholiques devaient être validés par le ministère de l’Education nationale. L'Etat français s'engage désormais à reconnaître sans autre procédure les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur habilités par le Saint-Siège.

«En étendant l’accord aux enseignements profanes, la France a remis sous l’autorité canonique mais aussi "scientifique" du Vatican des institutions qui s’accommodaient mieux du contrôle tolérant de l’Etat que des injonctions vétilleuses de l’Eglise catholique», regrette le sénateur Jean-Michel Baylet (PRG) dans une tribune publiée dans Le Monde du 21 mai. «Un seul exemple en convaincra: les cinq "cathos" françaises devront-elles demain traiter à parts "scientifiques" égales le créationnisme et l’évolutionnisme?». La question mérite d’être posée.

«Cet accord traduit concrètement des positions inquiétantes exprimées par le chef de l’Etat sur la laïcité, lors des discours de Latran (3) et de Ryad, et constitue une brèche par laquelle les créationnistes n’hésiteront pas à s’engouffrer» avertissent pour leur part Olivier Brosseau et Cyrille Baudouin. Leur enquête publiée en 2008 montre que l’offensive des anti-darwiniens n’est pas limitée aux Etats-Unis et que l’idée d’enseigner le créationnisme ou l’Intelligent design (une idéologie pseudo-scientifique qui fait intervenir une force supérieure dans l’évolution) dans les écoles a été récemment défendue par plusieurs ministres de l’éducation européens, aux Pays-Bas, en Serbie, en Allemagne ou en Italie!

Rien de tel encore en France, même si l’ancien ministre de l’éducation nationale, Luc Ferry, a fait ouvertement par le passé la promotion du livre Notre existence a-t-elle un sens? (Renaissance, 2007). Or ce dernier a été écrit par Jean Staune, secrétaire général de l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), une association où l’on critique ouvertement de la théorie darwinienne de l’évolution et ou l’on vante un «principe anthropique» de l’Univers, selon lequel ce dernier été créé pour l’homme. L’UIP a collaboré avec le Vatican pour son programme «Science théologie et quête ontologique» (STOQ). On peut douter qu’elle devienne jamais un établissement d’enseignement supérieur agréé par le Saint-Siège. Mais certains de ses membres pourraient diffuser leurs positions par le biais d’enseignements dans les universités catholiques et ce avec le soutien du Saint-Siège. D’où l’appel à la vigilance lancé par des universitaires, des parlementaires, des associations et des citoyens.

Certes, «l’Eglise catholique est moins offensive sur la question que les fondamentalistes chrétiens protestants», comme le rappelle le biologiste américain Kevin Padian, qui lutte depuis plus d’une dizaine d’années contre les néo-créationnistes aux USA. Certes, feu le pape Jean Paul II avait reconnu, en octobre 1996, que l’évolution était «plus qu’une hypothèse» (voir lien). Mais, rappelle Olivier Brosseau, il avait ajouté ce sérieux bémol : «les théories de l’évolution qui (…) considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme».

Par ailleurs, le ton de l’Eglise catholique s’est durci depuis: le cardinal Ratzinger, l’actuel Benoît XVI, et l’un de ses proches, le cardinal Schönborn (conseillé par l’un des leaders américains de l’Intelligent design au Etats-Unis), ont critiqué le message du pape polonais «comme vague et sans importance» ou ne pouvant être lu «comme une approbation générale de toutes les théories de l’évolution, y compris celles d’essence néo-darwinienne qui refusent explicitement à la providence divine un rôle réellement causal dans le développement de la vie dans l’univers». Benoit XVI a également fustigé «l’évolution qui dissimule ses proches brèches sur les questions qui se posent au-delà des possibilités méthodologiques de la science naturelle».

L’Eglise catholique a clairement une position finaliste, se rapprochant de celle du 'dessein intelligent', selon Olivier Brosseau. «N’oublions pas enfin que le Vatican est intervenu, en 2007, pour essayer d’empêcher l’adoption, par le Conseil de l’Europe, d’un rapport sur les dangers du créationnisme dans l’éducation» rappelle-t-il encore.

Le camp laïque est aujourd’hui ulcéré par l’accord passé entre la France et le Vatican. Des recours ont été déposés devant le Conseil d'Etat par des organisations enseignantes, le Collectif pour la promotion de la laïcité, plus d’une centaine de sénateurs et la Ligue des droits de l'homme.

Rachel Mulot
Sciences-et-Avenir.com
06/07/09

(1) Les créationnismes: une menace pour la société française? Syllepse, 2008, 7€. A découvrir également le site www.tazius.fr/les-creationnismes/, qui diffuse un documentaire de la RTBF très instructif sur les intrusions créationnistes dans l’enseignement chez nos voisins belges.
(2) Ils intervenaient au colloque «Cent cinquante ans après l’Origine des espèces: du darwinisme de Darwin à l’évolutionnisme contemporain». Vidéo bientôt en ligne sur le site du collège de France. www.college-de-france.fr/. Vous y retrouverez l’intervention de Kevin Padian «Situation présente et stratégies du créationnisme américain».
(3) Nicolas Sarkozy avait déclaré en décembre 2007: "Aujourd’hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle, refusant de reconnaître un caractère cultuel à l’action caritative, en répugnant à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique, en n’accordant aucune valeur aux diplômes de théologie, considérant qu’elle ne doit pas s’intéresser à la formation des ministres du culte".

Publié dans article sur le PRG

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