La recette des Francofolies : l'amour de la langue et de la fête

Publié le par PRG

Le Monde le 4 Juillet

L
es Francofolies de La Rochelle sont catherinettes, 25 ans et toujours libres. Elles pourraient porter la coiffe multicolore des coeurs à prendre, mais elles ont mûri à l'été, la Sainte-Catherine à l'hiver. Le festival de bord de mer qui s'ouvre le 10 juillet pour se terminer le jour de la Fête nationale affiche son quart de siècle. Les Francos ont, depuis, pris bon vent, mais elles sont symboliquement privées de propriétaire tutélaire, depuis que leur père, l'animateur de France Inter Jean-Louis Foulquier, les a vendues à des entrepreneurs qui les courtisaient depuis quelques années en filmant leurs entrailles pour les diffuser sur des chaînes de télévision.

Foulquier, homme de radio et de télévision, ami des artistes, s'était toujours prédit vingt années de Francos, pas une de plus. Fin 2004, il cède donc son entreprise, Francofolies S.A., à la société télévisuelle
Morgane Production et à ses deux fondateurs, Gérard Pont et Gérard Lacroix.

Ces Bretons d'origine ont une belle carte de visite musicale. Ils sont les champions des captations de concerts en France (du Printemps de Bourges aux Vieilles Charrues, en passant par les Francos) et, en 1979, ils ont fondé Elixir, un festival de rock précurseur. Itinérant par force - les municipalités bretonnes, voyant d'un mauvais oeil débarquer la tribu rock sur ses côtes, obligeaient à la transhumance du Morbihan au Finistère aller-retour -, Elixir finira sa vie en 1986 à Saint-Pabu (Finistère). Entre-temps auront défilé les Clash, les Stray Cats, America, etc. Morgane Production, passée sous la coupe de Carrere Group en 2005, détient aujourd'hui 95 % des parts de la société par actions simplifiées Francofolies.

La revente d'un festival n'est pas chose commune en France. Les subventions publiques tiennent une part importante dans les montages financiers, et les deniers du contribuable sont réputés incessibles. Dans ce contexte, la vente fin 2004 des Francofolies, festival hautement politique, fait grincer des dents. Les acquéreurs objectent "la somme dérisoire" pour laquelle Jean-Louis Foulquier a cédé "l'oeuvre de sa vie". L'argent public prend aussi un autre chemin : celui de France Inter, très impliqué dans les Francofolies.

Homme de nuit, Jean-Louis Foulquier accompagne dans les années 1970 l'effervescence de la nouvelle vague de la chanson française à la Pizza du Marais, un cabaret où se croise Bernard Lavilliers, Renaud, etc. Il les reçoit ensuite dans "Studio de nuit", l'émission tardive qu'il anime alors sur France Inter. Fort de ces amitiés très solides, Jean-Louis Foulquier avait imaginé les Francos en revenant de Québec, où le festival d'été rassemble le meilleur de la chanson, en français. Par la suite, il a franchisé les Francofolies, à Montréal, puis à Spa en Belgique. Très bien annoncées, commentées et retransmises sur France Inter ("Idéal, juste après la météo marine du soir", commentait le radical de gauche Michel Crépeau, maire de La Rochelle de 1971 à 1999), les Francos deviennent, après le Printemps de Bourges en avril, le lieu où les politiques affluent, de droite et de gauche.

En 1993, c'est Jacques Toubon, ministre de la culture de la seconde cohabitation, qui intronise Jean-Louis Foulquier "M. Chanson" de la République. Il confie à Francofolies S.A. le soin d'organiser les Semaines de la chanson, opération nationale destinée à redorer le blason de la chanson française, en pleine polémique sur les quotas de 40 % de chansons francophones imposés sur les ondes.

Premier pilier des Francos : le français. Ici, francophonie signifie d'abord chanter dans la langue de Molière, respecter les codes mis en place par les grands anciens - Brassens, Ferré qui y vint pour la première fois en 1987, crinière blanche au vent - et leurs héritiers. En vingt-cinq ans d'existence, les Francos n'ont pas dérogé à cette règle identitaire, tous genres confondus - le rap y vécut de belles heures, avec les débuts de MC Solaar ou de Diam's. Que les jeunes groupes français chantent aujourd'hui aussi en anglais n'entame pas le dogme. "Je suis breton, j'ai perdu ma langue à l'école maternelle, je sais de quoi je parle", dit Gérard Pont. Résultat pour 2009 : neuf groupes viennent des DOM-TOM, des Africains comme la Nigériane Ayo côtoient dans la même philosophie une création de folk français par Evelyne Girardon, Dick Annegarn, ou Charlie Winston, une production française.

Pour redéployer le concept, la nouvelle équipe a récupéré dans l'aventure un troisième larron, Frédéric Charpail. Ce Rochelais qui fut proche de Michel Crépeau dirige Incidences, une voilerie qui équipe sur mesure les multicoques. Il est aussi président du port de plaisance. Ainsi, les Francofolies, 4 millions d'euros de budget en 2009, ont-elles assuré leur ouverture vers le privé, la part de subventions oscillant entre 20 % et 25 % du budget.

De quoi assurer la continuité en cultivant "l'esprit" maison : fêtes sur le port, coulisses généreuses, soirées "francofolles" menées par les fidèles entre les fidèles, Kent, Higelin, Thiéfaine, Lavilliers, Catherine Lara, Arthur H, Véronique Sanson, et les Québécois.

Car c'est là l'autre pilier des Francofolies : le bon vivre. Mer, marées, bateaux, plateaux de fruits de mer, mouclade et muscadet, excursion à l'île d'Aix, virée sur l'île de Ré, les Francofolies sont aussi une belle machine à créer du plaisir pendant la journée et de la gourmandise au dîner. Ce bien-être estival attire les professionnels de la musique depuis vingt-cinq ans dans la cité portuaire. Et les artistes, venus pour les mêmes raisons, mais aussi pour rencontrer les programmateurs de salle, de radio, enfin, tout ce qui peut aider à une carrière en trinquant !

Rochelais d'origine, Jean-Louis Foulquier a fait preuve de génie en choisissant le cadre de son festival, le plus banal qui soit, et le plus exceptionnel à la fois : un parking goudronné parfaitement situé, entre l'école de voile et les deux tours - celle de Saint-Nicolas et celle de la Chaîne, à l'entrée du vieux port. Cette sorte de no man's land au pied des murailles a abrité des scènes d'anthologie : en 1992, dix mille fleurs de tournesol furent distribuées au public pour un concert de Jacques Higelin ; en 1993, le deuil, quand on annonce la mort de Léo Ferré en plein 14-Juillet ; en 2008, Alain Bashung, déjà chancelant, qui sublime Madame rêve...

Véronique Mortaigne

Publié dans article sur le PRG

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