Le projet de loi Hadopi met la Ve bis à l’épreuve
Libération le 16 Avril 2009
Parlement. Les nouvelles prérogatives des députés mises à mal.
Entre les trémolos de Nicolas Sarkozy sur la revalorisation du Parlement et la réalité du renouveau du législatif, il y a désormais Hadopi. Jeudi, le rejet du projet de loi sur le téléchargement illégal - texte cher au cœur du chef de l'Etat -, faute de troupes UMP en nombre suffisant dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, a suffi pour qu'en un quart de seconde, les ténors de la majorité retrouvent des réflexes très gaulliens.
En riposte au «coup de flibuste» que venaient de leur jouer les socialistes, Roger Karoutchi, ministre des Relations avec le Parlement, et Jean-François Copé, chef de file des députés UMP, ont promis urbi et orbi la réinscription du texte à l'ordre du jour de l'Assemblée dès le 28 avril. C'est qu'en butte l'un et l'autre aux foudres élyséennes, il leur fallait d'urgence remédier au ratage.
Chaos. Le hic, c'est que, conformément à la révision constitutionnelle votée en juillet, le Parlement est maître de la moitié de son ordre du jour. Et la séance du 28 avril, justement, devait être consacrée à l'examen d'un texte (sur l'inceste) d'origine parlementaire et non gouvernementale. «La semaine parlementaire, ça relève du Parlement qui peut seul l'abandonner au gouvernement, indique-t-on au Palais Bourbon. Toutefois le groupe UMP ayant la majorité absolue, si son patron, Jean-François Copé, demande un changement d'ordre du jour, personne ne peut le lui refuser, pas même le président de l'Assemblée.» En clair, le premier chaos a eu raison de l'esprit d'une «Ve bis», pourtant âprement défendue par Copé lui-même dans son livre à paraître le 24 avril, Un député, ça compte énormément.
La reprogrammation express d'Hadopi devrait être actée cet après-midi à l'issue d'une conférence des présidents, seule décisionnaire de l'ordre du jour, convoquée au pied levé par le président (UMP) de l'Assemblée, Bernard Accoyer. Lequel tente de sauver les meubles. «Si j'avais laissé faire, les groupes politiques n'auraient été officiellement prévenus du changement de programme que le 28 avril au matin, pour un texte examiné l'après-midi, confie-t-il à Libération. Cela les privait de facto de tout temps pour réfléchir à des amendements, ce qui me paraissait peu conforme avec l'esprit de la réforme constitutionnelle.» La suite relève du très classique : Hadopi partira au Sénat. En cas de différends, une commission mixte paritaire (composée de sept députés et de sept sénateurs) tranchera.
Brèche. Cette consolation ne fait pas l'affaire de tous. Pas en tout cas de l'UFC-Que choisir, qui s'est engouffrée hier dans une seconde brèche ouverte par la Ve bis. Hostile au projet de loi Création et Internet, l'association réclame que soient réalisées «des études d'impact sérieuses afin que les débats prennent enfin en compte les enjeux et les contraintes techniques ou économiques de cette réforme».Or, depuis la validation de la loi organique ad hoc la semaine dernière par le Conseil d'Etat, les études d'impact doivent accompagner les textes de loi. Etant déjà dans le circuit parlementaire, Hadopi échappe à cette obligation. Toutefois s'agissant d'un texte repoussé par la gauche et peu mobilisateur à droite, la proposition ne semble pas incongrue. Conforme en tout cas à l'esprit d'une Ve bis, passablement malmené.