La tentation du socialisme vintage, par Jean-Michel Normand

Publié le par PRG

Mieux qu'une revanche ; un basculement. Pour nombre de dirigeants du Parti socialiste, la perspective imposée par la crise de voir l'Etat prendre des participations partielles ou majoritaires dans les principales banques françaises remet la social-démocratie dans le sens de l'histoire. Cette réhabilitation de l'intervention directe de la puissance publique dans l'économie sonnerait l'heure du repli pour la droite, qui avait pris le dessus dans la bataille idéologique. Au PS, on reparle désormais de nationalisations avec une sorte de gourmandise non dénuée de nostalgie. Quitte à prendre à contre-pied la nouvelle déclaration de principes plaçant l'action du Parti socialiste dans le cadre de "l'économie de marché"... et à passer par pertes et profits la longue liste des privatisations réalisées par le gouvernement de Lionel Jospin entre 1997 et 2002.

En Europe, pourtant, rien n'indique que les partis de gauche soient particulièrement revigorés face à des gouvernements conservateurs qui, devenus - momentanément, sans doute - adeptes de l'intervention de l'Etat dans l'économie, brouillent les pistes en faisant du principe des nationalisations un thème de consensus. L'ancien ministre socialiste des finances, Michel Sapin, estime que "l'expérience montre qu'une banque publique ne se comporte pas de manière très différente qu'un établissement privé". Quant au franc-tireur Manuel Valls, il considère que "la réponse à apporter ne peut pas être la renationalisation définitive du secteur bancaire, mais la création d'une nouvelle régulation, car si les marchés sont mondialisés, la régulation, elle, ne l'est toujours pas".

Au lendemain de la défaite présidentielle de 2007, le PS n'avait pas cédé au réflexe du "coup de barre à gauche". La grande tradition socialiste qui veut qu'un congrès se gagne à gauche quitte à se retrouver en porte à faux, une fois au pouvoir, et être contraint de revenir en arrière, semblait remise en cause. Or, à trois semaines du rendez-vous de Reims, le PS s'est brusquement réapproprié des slogans qui ont de quoi rajeunir ses vieux militants. Car s'il est question d'imposer de nouvelles régulations, émerge surtout la tentation de renouer avec un socialisme tendance rétro, voire vintage, comme ces produits branchés qui imitent à s'y méprendre le style d'autrefois.

Benoît Hamon, qui mène la bataille au nom de l'aile gauche du Parti socialiste, s'autoproclame le candidat capable d'avancer "les réponses les plus crédibles". Il préconise la constitution d'un vaste secteur public bancaire, évoque le retour de l'encadrement du crédit et s'interroge sur la nécessité de séparer banques d'affaires et banques de dépôt. Martine Aubry, elle aussi en lice pour succéder à François Hollande, ne veut pas être en reste. "Avec (le texte) de Benoît Hamon, nous sommes les deux seules motions dans lesquelles nous ne nous contentons pas de dire "il faut corriger les effets néfastes du libéralisme'' mais le mettre en cause", insiste-t-elle. Pour la maire de Lille, il ne faut pas relancer l'économie par l'investissement, "mais par le pouvoir d'achat".

 

LE RAPPORT À L'ETAT

 

Un discours en décalage avec le discours économique de la direction du PS qui, depuis un an, soulignait la nécessité de ne plus privilégier la seule stimulation de la demande mais de s'en remettre, aussi, à une politique de l'offre (moindre taxation des bénéfices réinvestis, aides à la recherche, exonérations de charges accordées sous condition). Pour Mme Aubry, il s'agit aussi de prendre à revers Bertrand Delanoë qui, au printemps, s'est - malencontreusement, compte tenu du contexte -, défini comme "socialiste et libéral", en faisant référence au libéralisme politique. Piqué au vif, le maire de Paris a assuré de sa volonté de "démolir le libéralisme économique".

Quant à Ségolène Royal, qui avait pourtant contribué à ce que le PS réexamine son rapport à l'Etat et dont le programme présidentiel ne préconisait pas d'élargir le secteur public, elle accueille les nationalisations comme "une bonne nouvelle". Et souhaite la création d'une grande banque publique d'investissements.

Décidés à combattre toute idée d'union nationale, les socialistes, qui se sont abstenus lors du vote consacré au plan de sauvetage des banques, sont également tentés de lâcher du lest en matière de désendettement de l'Etat et de maîtrise des déficits publics. Certes, le temps n'est plus au stoïcisme budgétaire, mais il ne devrait pas non plus être à la facilité. Or, l'antienne, maintes fois entendue lors des meetings de précongrès s'étonnant que l'on puisse "dégager 360 milliards d'euros pour les banques d'un coup de baguette magique, alors que les caisses sont vides pour relancer le pouvoir d'achat", feint de croire que les déficits publics et sociaux se sont noyés dans le flot de la crise bancaire. De même, constatant que le pacte de stabilité européen est désormais frappé d'inanité, des voix s'élèvent au PS pour considérer qu'il faut tourner la page des contraintes européennes en matière de discipline budgétaire. Comme s'il suffisait de repousser les échéances pour annuler le fardeau de la dette publique.

S'ils se contentent de reproduire sans les repenser les schémas anciens d'intervention de la puissance publique dans le champ économique - nationalisations et fuite en avant budgétaire -, les socialistes vont laisser prospérer des ambiguïtés qui risquent de les mettre en difficulté, en particulier face aux "anticapitalistes" du futur parti d'Olivier Besancenot. Si les nationalisations constituent, par nature un acte "de gauche", pourquoi écarter les prises de participation de l'Etat dans d'autres secteurs en difficulté, telle l'automobile ? De même, au nom de la critique radicale du "libéralisme", ne faut-il pas - comme le demande l'aile gauche du PS et comme le suggèrent les partisans de Mme Aubry - instaurer des restrictions, à l'échelon européen, aux échanges commerciaux ?

Mais la crise bancaire ne condamne pas la gauche au mutisme ou à l'inertie. Cette nouvelle donne impose au PS de proposer de nouvelles règles et de nouveaux instruments publics pour maîtriser les flux financiers, mais aussi de faire entendre sa différence sur les paradis fiscaux. De même, les socialistes doivent poursuivre la réflexion, à peine ébauchée, autour de "l'Etat préventif" - et non plus seulement "curatif" - dans un contexte de restrictions budgétaires ainsi que sur les moyens de rééquilibrer la part, décroissante, des salaires dans le partage de la valeur ajoutée. Autant de motifs qui devraient inciter le PS à ouvrir son prochain congrès sur l'extérieur et consacrer un peu moins d'énergie à ses rivalités internes.

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